Saisi en urgence, le tribunal administratif de la Martinique, statuant en chambre des référés, a examiné samedi 4 avril 2020 la requête en référé liberté déposée par l’Ordre des avocats du barreau de la Martinique et plusieurs détenus concernant la situation sanitaire du centre pénitentiaire de Ducos.Si les juges des référés constatent que sur de nombreux aspects, l’administration pénitentiaire a pris les mesures adaptées pour répondre à la crise sanitaire, ils ont toutefois fait droit à une partie des demandes des requérants en ce qui concerne la mise à disposition de matériel de protection aux détenus, dans certaines circonstances, et aux auxiliaires de vie lors de la distribution des repas ainsi que la mise en oeuvre de tests de dépistage compte tenu de la vulnérabilité de la population carcérale.
Le Tribunal administratif a été saisi jeudi 2 avril 2020, en référé liberté, par l’ordre des avocats du barreau de la Martinique, plusieurs avocats et détenus afin d’enjoindre à l’administration pénitentiaire notamment de prendre toutes mesures utiles afin de ramener le nombre de personnes détenues à Ducos à un chiffre permettant un encellulement individuel, de prendre des mesures sanitaires et d’hygiène et de maintien du lien familial ou de procéder à des tests de dépistage.
L’audience s’est tenue samedi 4 avril 2020 de 9 h 00 à 11 h 30 au Tribunal administratif de la Martinique. Les débats riches et nourris ont permis aux juges des référés d’entendre les parties présentes. Des mesures de sécurité liées à l’état d’urgence sanitaire ont été mises en place conformément au plan de continuité d’activité. La chambre des référés a rendu son ordonnance ce jour dans le délai de 48 heures prévu par les textes.
Le tribunal rappelle, à titre liminaire, qu’eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis-à-vis de l’administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu’à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
S’agissant de la population carcérale, le tribunal relève que le centre pénitentiaire de Ducos présente une situation de sur-occupation préoccupante, limitant l’espace de vie individuel réservé à chaque détenu, et engendrant une promiscuité de nature à faire craindre, compte tenu de l’impossibilité pour les détenus de respecter les règles de distanciation sociale, une propagation rapide du Covid-19 au sein de la population carcérale et du personnel pénitentiaire. Toutefois, il rappelle que l’administration pénitentiaire ne dispose d’aucun pouvoir, ni en matière de mise sous écrou, ni en matière d’aménagement de peine, lesquelles relèvent exclusivement de l’autorité judiciaire.
Il note ensuite que pour permettre aux personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Ducos de s’entretenir avec leur avocat, tout en limitant les risques de propagation du Coronavirus, l’administration pénitentiaire et l’autorité judiciaire ont pris des mesures pour permettre la réalisation de ces entretiens par visio-conférence. En outre, pour les détenus éprouvant le besoin d’un entretien avec leur avocat en présentiel, il résulte de l’instruction que les « parloirs » ne sont pas suspendus, et des débats à l’audience que l’ordre des avocats du barreau de Martinique met des masques et des gants à disposition des avocats. Il appartient toutefois à l’administration pénitentiaire, dans l’hypothèse où un avocat se présenterait au centre pénitentiaire, sans être muni de ces équipements, de lui fournir un masque.
Si les requérants demandent au juge des référés d’enjoindre à l’administration pénitentiaire de doter le service pénitentiaire d’insertion et de probation des moyens et effectifs suffisants afin qu’il puisse, dans un tel contexte de crise, remplir sa mission d’assistance aux détenus, l’injonction ainsi sollicitée porte sur une mesure d’ordre structurel, reposant sur des choix de politique publique insusceptibles d’être mis en oeuvre, et dès lors de porter effet, à très bref délai.
En revanche les juges des référés estiment que la promiscuité induite par la surpopulation carcérale ne permet pas aux détenus, nonobstant les mesures prises par l’administration pénitentiaire pour limiter les contacts entre eux, de respecter les règles de distanciation sociale. Ainsi, le risque de propagation du Covid-19 est significativement plus élevé au sein du centre pénitentiaire de Ducos que pour le reste de la population. Dans ces conditions, eu égard à la vulnérabilité particulière des détenus, la carence de l’administration pénitentiaire à mettre à leur disposition des masques constitue une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales. Toutefois, le caractère limité des stocks disponibles impose une priorisation de cette mise à disposition. Le tribunal enjoint ainsi à la garde des sceaux, ministre de la justice, et au directeur du centre pénitentiaire de Ducos, dans les meilleurs délais de distribuer des masques aux détenus afin qu’ils en disposent, prioritairement, lors des situations les amenant à être en contact avec plusieurs détenus issus d’autres cellules.
Si les requérants demandent au juge des référés d’enjoindre à l’administration pénitentiaire de mettre à la disposition des personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Ducos du gel hydroalcoolique, il résulte de l’instruction et des débats que celles-ci peuvent se laver les mains avec du savon sans difficulté. De même les mesures d’hygiènes mises en place par le centre pénitentiaire paraissent adaptées (lavage des draps tous les 10 jours, lavage des effets personnels par les détenus, doses supplémentaires de javel pour le nettoyage des cellules) et répondent aux exigences de prévention du risque sanitaire.
Par ailleurs le tribunal note que l’administration a pris des mesures pour que les personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Ducos, présentant des symptômes du Covid-19, soient placées, après avis médical, dans un quartier dédié, pendant une période de 14 jours, de même que les nouveaux entrants.
En revanche, il ressort des débats à l’audience que l’administration pénitentiaire n’a pas pris les mesures suffisantes, afin que l’intégralité des auxiliaires, en charge de la distribution des repas au centre pénitentiaire de Ducos, soient dotés de masques et de gants. Le tribunal enjoint à l’administration de distribuer des masques et gants à ces personnes lors de la distribution des repas.
Le tribunal note en outre que pour compenser l’impossibilité pour les familles d’accéder aux parloirs, les personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Ducos, bénéficient, depuis le 18 mars 2020, d’un accès élargi au téléphone, sous la forme d’un forfait téléphonique exceptionnel directement crédité sur leur compte nominatif. Il est ainsi permis aux détenus de maintenir des contacts réguliers avec leur famille, quelles que soient leurs capacités financières. Dans ces conditions, l’existence d’une carence de l’administration pénitentiaire n’est pas établie.
S’agissant des demandes de dépistage, le tribunal relève que le risque de propagation du Covid-19 est significativement plus élevé au sein du centre pénitentiaire de Ducos que pour le reste de la population. Dans ces conditions, eu égard à la vulnérabilité particulière des détenus, la carence de l’administration pénitentiaire à se doter de tests de dépistage du Covid-19 constitue une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales. Toutefois, le caractère limité des stocks disponibles ne permet pas un dépistage systématique des détenus, et impose une priorisation de ces dépistages. Par suite, le tribunal enjoint à l’administration pénitentiaire de se doter de tests de dépistage en nombre suffisant, pour permettre, prioritairement, le dépistage des personnes ayant été en contact direct avec une personne, présentant des symptômes du Covid-19, afin de permettre, dans l’hypothèse où ce dépistage se révélerait positif, leur mise à distance et leur prise en charge sanitaire.
Enfin, le tribunal rejette la demande de communication du plan mis en place par l’administration en relevant qu’une procédure de prise en charge spécifique des détenus, atteints par le Covid-19, est en cours d’élaboration par le centre pénitentiaire de Ducos, en concertation avec l’agence régionale de santé de la Martinique et le centre hospitalier universitaire de Martinique.