Exposition au Chlordécone : condamnation de l’Etat à indemniser deux anciennes ouvrières agricoles démontrant un préjudice moral d’anxiété

Décision de justice
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Le tribunal administratif de la Martinique a condamné l’Etat à indemniser deux anciennes ouvrières agricoles de leur préjudice moral lié à l’anxiété de développer des pathologies graves, en raison de leur exposition directe aux produits antiparasitaires à base de chlordécone.

Deux ouvrières agricoles ayant travaillé de nombreuses années dans des bananeraies martiniquaises ont saisi le tribunal administratif de la Martinique afin d’obtenir la condamnation de l’Etat à les indemniser du préjudice moral d’anxiété dont elles s’estimaient victimes en raison du risque de développer, suite à leur exposition chronique au chlordécone, la maladie de Parkinson, le lymphome non hodgkinien et sa forme du myélome multiple.

Les magistrats ont estimé que l’Etat a commis une série de fautes de nature à engager sa responsabilité, d’abord en autorisant la vente de produits pesticides à base de chlordécone pour lutter contre le charançon du bananier en 1972, par le biais d’un dispositif dérogatoire d’autorisation provisoire, alors même que les données industrielles et études dont il disposait ne permettaient pas de s’assurer suffisamment de l’innocuité du produit, puis en renouvelant cette autorisation provisoire de vente, à partir de 1974, et en homologuant, en 1986, deux produits insecticides à base de chlordécone, alors même que l’évolution des connaissances scientifiques avaient établi avec certitude la toxicité du produit pour les êtres humains et l’environnement en cas d’exposition directe au chlordécone. Les juges ont également retenu que les services de l’Etat ont commis des fautes après l’interdiction définitive du chlordécone, décidée en 1990, en délivrant, en dehors de tout cadre légal, deux dérogations afin de permettre l’utilisation des stocks restant de chlordécone dans les bananeraies, jusqu’en 1993.

Le tribunal a ensuite rappelé que l’indemnisation d’un préjudice moral d’anxiété n’est possible que si la victime apporte des éléments circonstanciés démontrant que son exposition effective au chlordécone l’expose à un risque réel et suffisamment élevé de développer une pathologie grave.

Les juges ont relevé que des études scientifiques et médicales ont établi un lien entre l’exposition aux pesticides dans les métiers de l’agriculture et le développement de la maladie de Parkinson, du lymphome non hodgkinien et de sa forme du myélome multiple, et que ces trois pathologies graves ont été inscrites sur la liste des maladies professionnelles des métiers de l’agriculture, en cas d’exposition prolongée sur une durée de dix ans lors de travaux impliquant la manipulation des produits pesticides. Ils ont estimé que les deux requérantes apportaient suffisamment d’éléments pour justifier d’un préjudice moral d’anxiété réparable, après avoir constaté que les intéressées avaient travaillé pendant plus de dix ans dans une bananeraie, en qualité d’ouvrières agricoles, et qu’elles avaient participé dans ce cadre aux travaux d’épandage manuel du chlordécone dans les zones de cultures, sans matériel de protection.

Le tribunal administratif a en conséquence condamné l’Etat à indemniser les deux anciennes ouvrières agricoles requérantes de leur préjudice moral d’anxiété.

>> Accès au jugement n° 2400006 du 12 mai 2025

>> Accès au jugement n° 2400546 du 12 mai 2025

Illustration : ©Stocklib